LE CHAT DES CHARTREUX
Conférence du 20 juin 2011 à BELLE-ILE-EN-MER
Prunelle, l'aïeule
fondatrice de la lignée d'Izel-Mor, issue de Belle-Ile-en-Mer
Le chat des Chartreux, excusez
du peu, fait partie de notre patrimoine national: c'est en effet, avec le
Sacré de Birmanie, le seul chat qui doive sa création en tant que race reconnue à des éleveurs français, c'est
le travail de sélection qu'ils ont conduit qui a permis la reconnaissance
officielle et l'établissement du standard de la race, c'est donc grâce à des
compatriotes que le chartreux a acquis ses titres de noblesse.
Ce chat, remarquable à bien
des égards, et ceux qui partagent sa vie, ne me démentiront pas, il mérite bien
que l'on s'intéresse à son histoire, je m'efforcerai ici
de faire part des investigations suscitées par deux questions fondamentales:
Pourquoi ce nom de chat des chartreux? Quelles sont les
origines de ce chat?
POURQUOI LE NOM DE CHAT DES CHARTREUX ?
Il aura fallu attendre la
moitié du 18ème siècle, en gros les années 1750, pour que les chats
"bleus" vivant en France reçoivent le nom de chats des chartreux et
que l'usage de ce nom de baptême se généralise. Bien avant
cette époque, l'existence de chats bleus en Europe et au Proche-Orient était
avérée par les écrits de voyageurs, de commerçants et d'artistes, on parlait du
chat de Syrie, du chat de Chypre et du chat de Malte, pour désigner de grands
chats au pelage laineux et bleuté, aux yeux jaunes et on disait d'eux
qu'ils étaient d'un caractère tempéré et bons chasseurs de rongeurs.
Cela dit, c'est en l'an 1723 que le nom de chat des chartreux apparaît
pour la 1ère fois dans le très sérieux DICTIONNAIRE UNIVERSEL DU COMMERCE, D'HISTOIRE NATURELLE ET DES ARTS ET METIERS, que Savary
des Bruslons avait commis à l’usage des commerçants: Il s'agissait d'un ouvrage
technique, à vocation utilitaire, il ne faut donc pas s'étonner qu'à la rubrique
CHARTREUX on puisse lire: " Le Vulgaire nomme ainsi une sorte de
chat qui a le poil tirant sur le
bleu, c'est une fourrure dont les pelletiers font négoce ". (Le
Vulgaire désignant le petit peuple de Paris et les pelletiers étant
les fourreurs de l'époque).
Dans la classification des
chats que Savary des Bruslons établit ensuite, il est précisé : "il s'en trouve quelques-uns qui tirent
sur le bleu, ces derniers sont appelés vulgairement Chartreux à cause que ce sont les religieux de ce nom qui en ont
eu les premiers la race".
Ces informations ont, bien
sûr, suscité la curiosité des passionnés de la race qui n'ont pas
manqué, au siècle dernier, d'interroger les moines de l'ordre des Chartreux, lesquels
ont consulté leurs archives et assuré qu'il n'y
avait jamais eu d'élevage de chats bleus dans leurs monastères, ni à Paris, ni
à la Grande Chartreuse (maison-mère située dans l'Isère).
On a également avancé
l'hypothèse que les religieux auraient porté un habit de couleur gris-bleu et
que par analogie avec la couleur de la robe des chats.....mais cette
explication ne tient pas non plus, la robe des moines étant blanc cassé. Pour
s'en convaincre, il suffira d'aller voir, à la Chartreuse d'Auray, des
peintures d'un élève de Le Sueur, exécutées au 18ème siècle avant même
que le nom de chat des chartreux ne fasse son apparition ...
Il a donc bien fallu se
rendre à l'évidence: relier le nom du chat des chartreux à celui des religieux
du même nom relevait de la légende dont le propre est de faire rêver...
C'est notre Savary des
Bruslons qui, au bout du compte, permettra de trouver une explication plus
cohérente : dans l'ouvrage déjà cité, il donne la définition suivante de ce
qu'il appelle la "pile des
chartreux": une laine que l'on tire d'Espagne pour l'employer dans les
meilleures manufactures de lainerie" (parce qu'elle est fine et bleutée). Tant
il est vrai que l'Espagne est, depuis toujours, un pays d'élevage ovin et que
la France faisait du commerce avec ses voisins d'Outre-Pyrénées.
On peut donc
raisonnablement supposer que, par analogie avec la couleur et la texture de
cette laine, on aurait, dans un premier temps désigné la fourrure douce et
bleutée du chat "des chartreux", puis que, par une sorte de
transfert, on aurait appliqué le terme au chat qui la portait.
Par la suite, le nom de
chat des chartreux va se généraliser et apparaître dans les ouvrages des
naturalistes tels que le Suédois Linné (1735) et Buffon (1756) entre autres. Au
milieu du 18ème siècle notre chartreux était donc baptisé et reconnu
comme une race à part entière.
LE CHARTREUX, CHAT DE COMPAGNIE, CHAT
D'EXPOSITION
C'est au début du 20ème
siècle que le chartreux, qui a traversé tant d'années en tant qu'animal utilitaire,
va voir son statut changer : il va devenir un chat de compagnie apprécié
et commencer à hanter les expositions. Cette évolution, il la devra
essentiellement aux demoiselles Léger qui, en s'installant à Belle-Ile dans les
années 1925, vont s'intéresser à lui et le faire reconnaitre comme un chat bleu
constituant une race à part entière et non pas une variante du chat domestique.
Alors qu'elles vivaient sur
le continent, ces jeunes filles de bonne famille avaient fait des études à
l'école d'horticulture de Versailles, qui leur avaient ouvert la porte des
arcanes de la génétique et sans doute éveillé leur intérêt pour l'élevage.
Une
fois installées à Belle-Ile, elles avaient repéré, autour de l'hôpital, une
colonie de chats bleus où elles prélevèrent quelques sujets, dans le but de se
livrer au travail de sélection et de promotion propre à l'élevage.
C'est ainsi que la première
chatte bleue-Marquise-mariée à un mâle prénommé Coquito, allait produire Mignonne
de Guerveur (c'est le nom breton de Belle-Ile) qui en 1933, se voyait décerner
à Paris, le premier titre de Championne Internationale Chartreux. Le processus
était lancé et donnait rapidement de bons résultats.
Cette réussite peut
s'expliquer par le fait que les demoiselle Léger disposaient de suffisamment de
"matière première" pour éviter la consanguinité, de ce fait, les
chats produits étaient conformes à la description qui en avait été faite:
"Chat robuste et musclé, tout en restant très élégant, le nez bien droit,
les oreilles bien plantées, le poil laineux", tout y était, la difficulté
qui restait, c'était les yeux qui demeuraient clairs et de couleur "grain
de raisin", c'est-à-dire entre le jaune et le vert.
Parallèlement au travail
mené à Belle-Ile, un autre élevage se développait dans le Massif Central, là on
eut recours au chat persan pour améliorer la couleur des yeux, ce qui eut pour
effet de produire un Chartreux plus épais et plus joufflu que
le chartreux de Belle-Ile, mais avec des yeux satisfaisants. Des ponts finirent
par être jetés entre les deux souches, celle de Belle-Ile et celle du Cat Club,
qui furent bénéfiques pour la race, malheureusement, au fil du temps, les
choses allaient se gâter...
Confrontés à des problèmes
de consanguinité, les nouveaux éleveurs du Cat Club, au lieu de revenir aux
sources, c'est-à-dire aux chartreux naturels, se tournèrent vers un chat de
race qui leur sembla suffisamment proche de celle du chartreux, le British bleu.
Il faut noter au passage qu'il s'agit là, non pas d'une race mais d'une des
variétés de la race des British qui peuvent être noirs, bleus, bleu-crème…etc.
Par contre, comme ils sont
issus du persan, les British ont la face courte, le nez stoppé et le poil très
fin. Le mal n'aurait pas été si grand si on s'était contenté d'alliances
ponctuelles, suivies d'une sélection sérieuse, hélas!, pratiquée à grande
échelle pour des raisons de commodité (les British étaient beaucoup plus
nombreux que les chartreux, donc plus faciles à trouver), cette pratique allait
susciter l'apparition de sujets hybrides: les nez commencèrent à se stopper, la
face à se raccourcir, les oreilles à être mal portées et le poil à devenir trop
fin, bref, dans les années 70, le Chartreux était en train de perdre son
âme..
Comme pour ajouter à la
confusion et donner, en quelque sorte, le coup de grâce à la race, la FIFé prit
la fâcheuse décision d'assimiler les deux standards et pendant quelques années,
on jugea les chartreux et les british bleus selon les mêmes critères. Cette
mesure incita les éleveurs passionnés à dénoncer cette hérésie que monsieur
Jean Simonnet s'attacha à faire disparaître et en 1977, la FiFé rétablit la
séparation entre les deux standards: encore une fois, le Chartreux était sauvé!
Il a fallu bien des années
pour que les effets pervers des mariages inconsidérés entre Chartreux et
British Bleu ne disparaissent, les éleveurs ayant (pour la plupart)compris la nécessité de sauvegarder ce qui
fait la spécificité et le charme de notre chartreux, ont beaucoup travaillé:
actuellement, dans les expositions, on ne voit plus guère de chats au nez court
et stoppé ,aux petites oreilles et à la bouille trop ronde, ce qui ne veut pas
dire qu'on ne soit pas en train de s'éloigner du chartreux d'origine.
S'il est vrai que le
chartreux est un chat solide qui doit, notamment, le mâle, donner une
impression de puissance, c'est un chat qui doit rester élégant parce qu'il
est bien musclé, qu'il y a de la noblesse dans son allure, or, un chat
trop lourd, voire adipeux, bas sur pattes, ne saurait ressembler à l'animal
plein de prestance qui a séduit les générations passées.
Il m'a donc paru nécessaire
de revenir aux sources, c'est pourquoi, je me suis lancée dans la belle
aventure d'un programme d'élevage, conduit à partir de chats naturels de
Belle-Ile...
Clipper ,fils
de Prunelle, premier chat bleu "importé"de Belle-Ile-en-Mer
Programme d'Elevage
Pour répondre à certaines questions, concernant le RIA, les chats bleus de Belle Ile en Mer.
Au fil des années, nous avons vu les chartreux changer et les sujets " à la mode " devenir de plus en plus lourds, présenter une robe claire et une face courte ce qui ne plaisait guère .Nous étions du chartreux d 'origine, bien découplé parce que grand et musclé, à la pelisse couleur ardoise et à la face empreinte à la fois de douceur et de noblesse. En 2017 la chatterie d'Izel-Mor décide de revenir aux sources en menant son programme d 'élevage à partir des chats bleus naturels de Belle-Ile-en- Mer: le berceau de la race .
Un programme d'élevage est un travail qui consiste à partir de chats sans pedigree, à creer une lignée de chats sélectionnés. Ce travail s'inscrit dans la durée (il faut 5 générations de chats issus du même aïeul pour obtenir un pedigree complet) et il est mené selon un protocole strict, puisqu'à chaque étape, les chats font l'objet d'un examen par des juges confirmés qui leur délivrent-ou pas-l'agrément qui les autorise à procréer.
Pendant toute la durée du travail, ces chats ont un pédigree LOOF, ils sont seulement inscrits en RIA (registre parallèle 1, 2, 3, 4) jusqu'au moment où ils parviennent jusqu'à la 5 ème génération, auquel cas ils rejoignent le registre principal.
La responsabilité de l'éleveur c'est de repérer les défauts par exemple, des yeux trop clairs, une fourrure trop rêche et les qualités du nez long et droit, morphologie harmonieuse des chats naturels et de réaliser de bons mariages avec des chats sélectionnés afin de gommer les uns et de récupérer les autres.
C'est un vaste programme et un formidable défi !!!